Les responsables antitrust de l'Union Européenne ont annoncé, vendredi 30 Avril, l'ouverture de deux enquêtes au sein des seize plus grandes banques du monde. Elles portent sur de possibles ententes dans les marchés dérivés, contrôlés par une oligarchie d'institutions financières, dont le volume des échanges s'élève à 14,5 trillions d'euros. Cette nouvelle a provoqué une volée de bois vert parmi les établissements financiers. De surcroît, un climat délétère plane sur les banques, au moment où un rapport du Sénat américain accuse la banque d'affaires, Goldman Sachs, d'avoir vendu des produits financiers à ses clients tout en misant contre eux.
Un marché aux allures de Far West.
La crise financière a révélé un certain nombre de dysfonctionnements liés à la dérégulation, votée en 2007, notamment sur le marché des contrats d'échange sur défaut, particulièrement juteux, où quelques banques semblent s’être entendues pour échapper à la concurrence, concentrer le marché et atténuer les risques. A l’origine, ces formes de contrats dérivés avaient été créées pour garantir aux investisseurs une protection en cas de non solvabilité d’une des parties. Cependant ces contrats ont rapidement évolué en instruments spéculatifs, échappant, du fait de leur haute sophistication, à la vigilance des autorités compétentes pour les réguler. Du fait de leur opacité, ils sont considérés comme en partie responsables de l’effet de panique dans la crise financière de 2008.
" Le manque de transparence sur les marchés financiers a pu entraîner des comportements abusifs et faciliter les violations des lois de la concurrence " a déclaré Joaquin Almunia, Commissaire chargé de la Concurrence auprès de l’Union Européenne. " J’espère que nos investigations contribueront à améliorer le fonctionnement des marchés et apporteront une reprise plus sûre et durable. "
Une décision qu’approuvera sans doute Michel Barnier, Commissaire Européen au Marché Intérieur, chargé des services financiers: " Nous voulons mettre la lumière sur des gens qui n'en ont pas vraiment l'habitude ", avait-il martelé dès septembre 2010. Le Commissaire a expressément demandé la mise en place d’une chambre de compensation centralisée : " Aucun marché financier ne peut se permettre de rester dans l’opacité comme un territoire du Far West ".
Un recadrage s’impose.
Trop de fonds entre les mains de trop peu d’institutions: c’est là où le bât blesse. Le but est d'augmenter au maximum la transparence de ces marchés dérivés où plus des trois-quarts des transactions se font de gré à gré. Les autorités européennes vont examiner au cours de leur première enquête, si les banques parmi lesquelles figurent Goldman Sachs, Barclays, Bank of America Corporation, Citigroup, Crédit suisse Group, Deutsche Bank, JPMorgan Chase, Morgan Stanley et UBS, ont empêché des organisations concurrentes d’entrer directement en compétition sur le marché des contrats d'échange sur défaut. Et notamment, si seize d’entre elles ne se sont pas entendues avec l’organisme financier, Markit, fournissant prix et informations nécessaires pour échanger ces contrats, afin de dominer les marchés et écarter la concurrence.
La seconde enquête portera sur le ICE (Intercontinental Exchange) et examinera si le partage de profits et de commissions préférentielles n’ont pas été attribués à neuf de ces institutions, ayant pour conséquence de ne plus inciter aux négociations avec les autres chambres de compensation.
Cette enquête fait suite à une analyse sur les marchés dérivés, entamée aux Etats-Unis, l’année dernière : malgré la résistance des banques pour conserver leurs prérogatives et leurs avantages. Le département de la justice a déclaré au New York Times, en décembre 2010, qu’une investigation sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles était en cours, enquête qui cherche à souligner l’obstruction du marché par certaines banques afin d’en contrôler l’accès. Les "regulators" tentent d’apporter clarté, transparence et sécurité dans " un coin peu reluisant et trouble du monde financier " comme le dépeint le International Herald Tribune.
Discipliner ces électrons libres de la finance.
Faut-il plus de régulations, plus de sanctions, ou bien les deux ? La Commission Européenne est déterminée à utiliser tous les moyens légaux à sa disposition pour empêcher les compagnies financières d’utiliser leur prédominance pour décourager la concurrence ou créer des ententes tacites. Une commission très impliquée dans les dossiers traitant de questions concurrentielles, après le redressement de deux milliards de dollars de la société Microsoft, en 2002, pour son monopole sur les systèmes d’exploitation d’ordinateurs, ou encore le cas Google et sa potentialité à dissuader les annonceurs de traiter avec d’autres moteurs de recherche.
Dans le secteur de la finance, la Commission a déjà condamné huit banques autrichiennes en 2002, pour avoir fixé elles-mêmes, les taux de prêts et de consignations. Il reste à espérer que ces enquêtes contribueront à rationaliser efficacement le comportement des établissements bancaires. A bon entendeur, salut !
par
Brigitte Ades
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